Célébration des nourritures

Le Mont-sur-Lausanne, Lausanne, coéditions Ouverture - La Terre romande 1990, 192 pages.
Ouvrage collectif de trente-cinq convives (les auteurs), avec un hors d'oeuvre (préface) de Gil Pidoux, des illustrations hors-texte (photographies) d'Eric Bolomey. Avant-propos de Claude Quartier.

Ouvrage disponible aux éditions Ouverture ou à l'association des Ami(e)s de Gil Pidoux.

(...) la mémoire n'est pas faite que de la forme abstraite des images, des paroles ou des sons, mais aussi du toucher, des odeurs, de la primitive saveur des nourritures.

C'est autour de cela que nous avons voulu rassembler les écrivains de cette terre romande si riche en sève nourricière, si profonde en appétit naturel. C'est pour redire la nécessaire célébration de ces nourritures, sans lesquelles l'esprit s'affame, que nous avons cherché à les mettre à table.

Gil Pidoux, Célébration des nourritures, p. 5

Cet ouvrage collectif, publié sous la direction de Gil Pidoux, est une co-édition entre La Terre romande, journal professionnel agricole et des Editions Ouvertures, de l'imprimeur Jean-Samuel Grand (1947- 2018).

Célébration des nourritures est introduite par Claude Quartier, le rédacteur en chef de La Terre romande par une comparaison entre deux métiers. Le paysan « produit » de la nourriture. Son travail consiste à faire la « synthèse » entre la terre, le soleil et le « génie humain ». L'imprimeur, dans son rôle d’intermédiaire entre paysans et auteurs, « produit » le livre. « (...) pour créer du lisible ». Une autre forme de nourriture. « Chacun avait envie de faire vivre son art et de vous le partager ».  Ces nourritures sont célébrées par les textes de 35 auteurs romands et les photographies en couleur d'Eric Bolomey.

Gil Pidoux laisse libre cours à son imagination pour donner du corps – et du coeur – à l'ouvrage. Il réunit les auteurs (parité respectée entre femmes et hommes !) « autour de la table ». Les auteurs sont considérés comme des cuisiniers ou des cuisinières. La table des matières, « Au menu de cet ouvrage », devient la « Table de la célébration ». Allusion, bien entendu, à la célébration de la Cène, dans la formulation protestante. La préface, signée de Gil Pidoux, est qualifiée de « hors-d'oeuvre ».

A chaque contribution de célébrer à sa façon.

Mousse Boulanger apporte « Les radis », Denis Guelpa ses gousses d'ail, André Imer songe à « La tête de moine », fromage jurassien. Grisélidis Réal  propose son « Lapin Tzigane », Janine Massard « la courgette et les petits fruits ». Pierre-Yves Lador célébre « Le flan caramel : une messe cosmique ». Edmond Pidoux, l'oncle de Gil, affirme sans hésiter que « La meilleure des viandes » est le légume. Gaston Cherpillod moralise, à contre-temps : « Nourriture : du besoin au vice ». Marie-Claire Dewarrat, l'une des « cuisinières » à la langue subtile, affirme que, au coeur de l'été, le « jardin commence à sentir la soupe aux légumes ».

 

Cette « Célébration des nourritures », finalement, se tient au distance du « labeur paysan »,  de celui de l'éleveur du « ranz des vaches » ou du vigneron qui montait à la vigne en chantonnant.

Nous sommes en 1990. Le monde paysan tente de récuser l'industrialisation de son travail. (Il laisse encore les radis des « grandes surfaces » aux maraîchers). Le microcosme littéraire, lui, feint d'oublier ses racines rurales, dénonce la grande bouffe et la consommation de masse.

Gil Pidoux observe, refuse de prendre parti, de céder aux « savantasses polémiques » se méfie « des oiseuses digressions politiques ». Il penche pour le « vrai manger », qui s'adresse aussi bien au corps qu'à l'esprit.

Ainsi chemine sa philosophie. La nappe est mise. Ou pas de nappe.

 

Célébration des nourritures.

C'est l'instant d'un choix (la nappe est mise ou pas de nappe, la table est prête ou pas de table, un rondin, une souche, une pierre suffiront). Choix de celui qui cherche à se dire et dire le monde primordial au travers de sa mémoire, choix du lecteur, sautant le hors-d’œuvre pour piquer au plat principal, par goût, curiosité, envie, ce goût, cette curiosité, cette envie, qui devraient habiter tout autant notre esprit que notre panse.

(p. 8-9)