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Ecriturages

Éditions Piantanida, Lausanne 1982, collection Profil.ch, 140 pages
Couverture : Thomas A. Woog
Ouvrage épuisé. 


Ecriturages, où se conjugue(nt?)  la rage d'écrire, de
nommer, de polémiquer humblement des choses,
d'écrire la rage de ces  choses même dans de
courts textes, au fil du temps si bref que me
laissent les aléas sociaux et les difficultés de ce
qu'on croit être mon seul métier, alors que je suis
convaincu qu'il n'y a de métier que de vivre,
soutenu par cet inébranlable passion de création
et de communication qui, pour moi, passe par le
théâtre, l'écriture, les arts picturaux et la
musique (dont je suis hélas qu'un auditeur
fervent, un servant attentif et intéressé).

Gil Pidoux, Ecriturages, p. 52.

Ecriture et rage de vivre : « Ecriturages »  est un titre à prononcer à voix haute. Gil Pidoux, réaffirme avec vigueur ses choix artistiques, dans la diversité de ses métiers.  Il aurait l'âge de se calmer, de choisir, de trouver un emploi fixe, une charge, une fonction... A plus de quarante ans ... A moins de se trouver une sinécure, un emploi fixe. Ce n'est pas son genre.
En 1980, il a mis en scène « Le silence de la terre », texte de Samuel Chevalier, musique de Robert Mermoud, au Théâtre du Jorat. C'est une confirmation supplémentaire de son talent, de son influence. Toujours au Théâtre du Jorat, en 1982, l'année de parution d’Ecriturages , il réalisera la scène « La Nique à Satan » ; la musique est de Frank Martin ; Robert Mermoud en dirigera les chœurs. Il se sent le « gardien » de cette « Grange sublime » du village de Mézières. Il y fréquente des notables du microcosme culturel vaudois. Gil Pidoux, poète en voie d'officialité ? Impossible ; sa plume n'est pas assez souple, son verbe trop acerbe, trop proche de ses révoltes, de son goût pour les gens du peuple.   

Heureux celui à qui l'on remet, afin qu'il préside à la destinée de la fête future, les clés de cette forteresse dont il se sent désormais le gardien. Ce sera, bien sûr, par un de ces temps de dure froidure où la vapeur vous sort des lèvres jusqu'au coeur de la grande nef. Il vous faudra le carré brûlant arrosé de pomme (le café des décorateurs) pour vous permettre de supporter ce glacial saisissement 
Gil Pidoux, Théâtre du Jorat, 75 ans d'images, 1983, p. 7.

En août 1983, le photographe Christian Coigny publie Portraits d'artistes, aux éditions Favre, sous l'égide du 50ème anniversaire de la Banque de Dépôts et de Gestion (BDG). Un choix d'une cinquantaine d'artistes d'origine (ou d'adoption) vaudoise. Le portrait de Gil Pidoux est placé entre celui du pianiste et chansonnier Albert Urfer, compère du poète-chansonnier Gilles, et du compositeur Julien-François Zbinden. Cette proximité par portrait interposé  est alors hasardeuse. Nous verrons que Gil Pidoux, plus tard, publiera un hommage collectif sur Gilles. Et que son amitié pour Julien-François Zbinden, compagnon de radio, suscitera une rencontre étonnante au café de l'Europe, à Lausanne, en 2018.
La notice consacrée à Gil Pidoux (dans Portraits d'artistes) précise que ce « comédien » est également membre de la Société des écrivains vaudois, qu'il fut Prix suisse des poètes de langue française, en 1975. Il serait donc un comédien qui écrit. Lui se contente, en 1983, d'indiquer son goût pour la prise de notes.
Elles (les notes) tentent de rendre compte du fugace état des choses qui déjà ne sont plus, et se transforment, se ruminent, s'inventent pour n'être au grimoire du quotidien qu'un peu de cette paille, de cette poussière où l'archéologue s'acharne à reconstituer un univers perdu.
Ecriturages, page 4 de couverture
 
Ecriturages a les apparences d'un journal, à l'instar du « Lieu de l'arbre ». La pagination  de l'ouvrage suit la succession des jours, mais refuse l'ordonnance habituelle des semaines. Les jours se succèdent, du chiffre 1... au presque infini. Nous aurons ainsi un texte du Mercredi 89, un autre du  Jeudi 90, puis du Vendredi 91...
L'auteur s'amuse, aussi. Il s'est  inventé un correspondant, un certain H.B. Langle, qui pourrait être son double. Langle écrit à la façon d'un épistolier du XVIIIème. Langle et Pidoux s'interrogent avec courtoisie sur les circonstances de la vie, sur  le tragique et le dérisoire des choses, des gens et des amours. Quitte à envisager de s'éclipser des contraintes civiles, à tour de rôle, l'un se faisant passer pour l'autre. (Gil Pidoux ne se réclame d'aucun mouvement poétique, d'aucune école. Il serait surpris de se voir qualifié de surréaliste).

La fabrication graphique d'Ecriturages a fait l'objet d'exigences particulières de Gil Pidoux auprès de son éditeur. Parmi les caractéristiques de la typographie, l'on notera la mise en évidence de certains textes, par une mise en page centrée. Cette disposition  souligne le caractère vigoureux, pressé, véhément parfois, de la pensée d'un écorché à vif. Des textes à dire autant qu'à lire, de pleine oralité, sur un ton d'urgence.
D'autres passages de ce journal ébouriffant sont de facture plus douce. Ici et là se glissent quelques aveux voilés. (Aucune femme ne pourrait y être reconnue par une autre). Ou, encore, surgissent quelques pensées qui évitent la sentence. Gil Pidoux a le sens de l'aphorisme au pied léger.

 Ceux qui ne veulent pas vous aider attendront
toujours de grandes choses de vous. 
Ecriturages, vendredi 77

Ou encore, page 10


 Dieu est une trace qui s'efface d'elle-même.
Qu'on tente de recopier. Impossible. Dieu est
toujours hors du carbone.

D'autres rapprochements, en forme de fulgurance, surprennent aussi le lecteur pressé : 


Le style ? Pourquoi le ?
La stylisation. Comme une femme abandonnée.
On ne peut être généreux qu'avec les mots.
Les hommes mangent trop vite. 

Ecriturages, Dimanche 2


Gil Pidoux, par touches discrètement biographiques, évoque quelques-uns de ses rares voyages durant cette période de sa vie (L'Ile d'Elbe, Bruxelles). Mais il se préserve du récit de voyage en forme de souvenirs hôteliers.
Sur un plan plus strictement littéraire, ce journal nomme quelques figures, sans trop s'appesantir.  Tahar Ben Jelloun (alors plus connu pour sa poésie que pour ses romans), Georges Haldas, Jean-Pierre Schlunegger, Ponge, Saint-John Perse, Neruda, (Yannis) Rítsos, Max Pol-Fouchet, Rabelais, Lorca.
Certains ont des prénoms ; d'autres en sont dispensés.
Il aurait pu citer, parmi les poètes romands, Gustave Roud, qu’il avait promené en char à banc dans les rues d'Orbe pendant une Quinzaine culturelle. Ou Philippe Jaccottet, invité par les  soins de Gil Pidoux, à Moudon pour y recevoir un prix de poésie dans sa ville d'origine.
Ces écrivains peuvent l'accompagner dans son cartable en cuir de périgrinateur. (Sa serviette, en langage  suisse romand). Détecter des influences – penchant de professeur – s'avère ici périlleux.